jeudi 11 février 2010

G. Le saké, boisson des dieux du Japon


Le Japon est le seul pays riche à demeurer profondément animiste (animisme = religion ou croyance qui attribue une âme aux animaux, aux phénomènes et objets naturels). Sa religion est le Shinto. Le panthéon des divinités y est constitué d’une myriade de kami, esprits qui animent des montagnes, des pierres, des sources, des rivières, des lacs, des arbres, des animaux, des humains. Parmi ces derniers, le plus sacré est l’empereur. Le shintoïsme vénère par-dessus tout le saké, une boisson qui s’apparente beaucoup au vin, bien qu’elle soit issue du riz.
Pour le comprendre, il faut remonter aux origines de l’agriculture au Japon. Le riz y a été introduit, en provenance de Chine, via la Corée, pendant la période Yayoi (IIIe siècle av. J-C – IIIe siècle ap. J-C). C’est lui qui a permis la mise en valeur soigneuse des plaines, les régions pentues (70% de l’archipel) étant laissées à la forêt et aux divinités de la montagne. Le riz est alors devenu la plante sacrée par excellence, un kami majeur, équivalent du blé et du pain en Occident, associés à Cérès (déesse romaine des moissons) ou au Christ lui-même. La cérémonie du repiquage par l’empereur qui a lieu chaque printemps dans la rizière sacrée du palais impérial de Tokyo est un évènement important, relaté par la presse, et qui s’apparente à la cérémonie similaire que présidait jadis l’empereur de Chine, et, plus tard, Mao Tsétoung. Même si sa consommation a récemment diminué, le riz demeure un aliment indispensable à la tranquillité d’esprit des Japonais.
Le saké résulte de la fermentation du riz dans de l’eau pure, effectuée dans de grandes cuves en bois comparables à celles que l’on utilise pour la vinification. Les grains de riz sont polis pour n’en conserver que le cœur. Après filtrage, il se présente donc comme un vin ou une bière translucide qui titre de 16° à 18°. Sa saveur est légèrement fade. Elle surprend les étrangers, les amateurs de vin en particulier, qui n’y retrouvent pas le fruit, l’acidité et les parfums prononcés de leur boisson habituelle, ou les buveurs de bière qui le trouvent déficient en amertume. Sa confection est ponctuée d’actes religieux qui viennent sceller le mariage des kamis du riz et de l’eau très pure, si possible captée au pied d’une montagne sacrée. Les prêtres shintos sont fréquemment appelés dans les rizières, à la source ou dans la cuverie (où se situe l’ensemble des cuves), surtout pendant la fermentation, afin que celle-ci se déroule avec régularité. La plupart des brasseurs de saké appartiennent à des familles anciennes, fières de leur généalogie, conservant les traditions de leurs ancêtres et du Japon éternel. Les biotechnologies les plus modernes sont désormais entrées dans le monde du saké, mais elles demeurent discrètes et de nombreuses fabriques artisanales sont installées dans des bâtiments anciens, en bois, souvent antérieurs à l’époque Meiji (1868). Il y règne une très rigoureuse hygiène, car il est important que la fermentation mette en valeur le goût original du terroir, celui de l’eau, de la variété de riz, du sol, du temps qu’il a fait pendant la saison végétative et pendant le processus d’élaboration. Les connaisseurs savent distinguer toutes ces nuances et le prix des sakés varie autant que celui des vins, d’une région et d’une fabrique à l’autre.
Le saké est ensuite associé à toute la vie religieuse du Japon. Il était jusqu’à une date récente rarement consommé par les femmes, sauf pendant la cérémonie de leur mariage. On en offre aux dieux à la maison, sur l’autel domestique, en particulier pendant la pleine lune. On en offre des tonneaux ou des bouteilles aux temples. Les grands sanctuaires sont ornés de véritables murailles de tonneaux recouverts de paille et d’inscriptions colorées. On en boit lors de toutes les fêtes religieuses (nouvel an, en particulier) et lors de ces communions avec la nature dont raffolent les Japonais : floraison des pruniers et des cerisiers, abondantes chutes de neige, pleine lune, etc. Les fêtes villageoises ou des quartiers urbains sont également des occasions d’abondante consommation de saké. Comme pour le vin, il s’agit donc bien là d’une boisson de la convivialité, de la joie, tout autant qu’un médiateur entre les hommes et le divin.

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